[Mr Fernand CROUZILLAT a été enregistré chez lui à Juillac en 2004]

– Qu’est ce qui vous a conduit à faire de la Résistance ?

Je suis né en 1920. J’ai été appelé pour faire les chantiers de jeunesse en 41, 42 à Pontgibaud. J’y suis resté 7, 8 mois. Ca ne m’a pas trop plu. On ne parlait pas de la situation de la France parmi les jeunes, ni de Pétain ni de rien. Le chef de groupe, un breton, était assez dur. D’ailleurs, les paysans qui étaient à côté du camp nous avaient dit qu’il avait eu sa cabane de brûlée ! Pour faire l’exercice le matin, il nous conduisait dans un pré plein de trous et au coup de sifflet, il nous faisait allonger dans la boue !
Je n’ai pas été appelé pour partir en Allemagne au titre du STO car la profession marquée sur mes papiers était « ouvrier agricole » et les agriculteurs n’étaient pas réquisitionnés. Je travaillais entre autres chez Lalande aux noix, aux châtaignes ; on faisait des conserves.
Quand je suis revenu chez moi, le Parti communiste à Tulle avait désigné un gars chargé de nous parler. Il m’a dit que le Parti voulait que je reste chez moi pour surveiller et prendre des contacts. Cette personne est descendue deux, trois fois me voir, c’est tout. Je ne sais pas son nom. Une fois alors qu’il venait m’apporter des papiers, il a dit qu’il fallait faire vite car les Allemands arrivaient ; ils étaient du côté de Saint- Bonnet. Nous repartons, chacun dans une direction. Je devais traverser la route principale. Une voisine qui a vu mon manège m’a dit qu’elle allait regarder avant que je ne traverse. Elle a bien fait ; 2 Allemands arrivaient au pas cadencé alors je suis parti par derrière dans un pré et me suis aplati dans l’herbe haute. Quand ils ont été passés j’ai continué à travers prés. Je voyais les fusils mitrailleurs au terrain de sport. Je ne sais pas ce qu’ils cherchaient. C’était après Oradour.

J’ai donc fait de la Résistance par convictions personnelles et politiques.

– Des anecdotes par rapport aux actions menées avec d’autres?

Je conduisais les gars qui venaient me trouver dans les maquis, au Coutaud, au-dessus du Mayne. Il y avait d’ailleurs deux gars de Juillac qu’on cachait là-bas. Mon beau-frère, Clément, Résistant dès le début, avait fait un trou. Je sais que c’était fin 1943 car Marie, ma femme, allait les ravitailler avec notre fils Pierrot qui venait de naître. Georges, un réfractaire au STO est venu me demander comment il pouvait faire pour se cacher. Je lui ai dit de prendre le car qui allait au Soulet tous les soirs puis de remonter le long de l’endroit où il y avait l’ancienne ligne de chemin de fer de Chabrignac. Je suis parti de chez moi vers minuit à pied pour le lieu de rendez-vous. J’ai attendu, attendu, inquiet. Brusquement je l’ai entendu ronfler à côté de moi. Je ne l’avais pas vu dans les ronces ! Il voulait qu’on prenne le temps de manger un bout de gâteau fait par sa fiancée. Je lui ai dit qu’il n’en était pas question. Il voulait savoir où j’allais l’emmener. Je n’ai pas voulu le lui dire. On est sorti à Chabrignac. On a piqué vers le château puis on est remonté au Puytinaud.
Il y en avait un autre avec lui de Juillac mais les parents de celui-là ne voulaient pas se montrer alors c’est ma femme qui allait ravitailler ceux qui se cachaient ! Mon beau- frère, Clément a dû les changer de place parce qu’un jour, un gars de Concèze qui avait un terrain à côté, lui a dit de faire attention car on avait vu les maquis dans son pré, ce n’était pas prudent. Au nouvel emplacement, il fallait faire deux ou trois fois le tour d’un roncier avant de pouvoir les trouver. Ca s’est bien passé. A la fin, ils ont été emmenés à la maison et cachés dans le grenier à foin. Moi aussi, j’ai été obligé de me cacher là à cause des gars qui voulaient m’aligner contre le mur de la mairie. J’y suis resté un moment. J’avais une pièce pour moi qui donnait derrière dans le pré en passant par le grenier à foin. Ca donnait le temps de voir venir !

Monsieur et Madame Crouzillat en 1940

– Et le jour où des collaborateurs voulaient vous arrêter ?

Un copain avait entendu, en passant dans un quartier de Juillac, une conversation entre deux collabos, où il était dit que Crouzillat, le maire (Vialle) et Panier allaient être arrêtés et « allongés » contre un mur de la mairie. Nous nous sommes échappés ce jour-là mais à la fin, nous avons eu notre revanche.

Un soir, tout un groupe de gens de Vignols, de Concèze, de Lascaux sont arrivés à Juillac. J’étais avec mon beau-frère. Tout à coup, j’entends un coup de révolver alors je décide d’aller voir. Ils étaient chez un de ceux qui avaient voulu me faire la peau. Ils l’avaient suivi, de retour de promenade avec sa femme. Le lendemain matin, nous avons conduit le mari à Objat, dans une salle de ce qui est actuellement la mairie. (A l’époque, c’était le collège de filles, je crois.) Là, ils ont été pris en charge par ceux d’Objat. Nous, nous sommes repartis. Chez lui, il y avait un tas de viande de cachée. Avec sa femme, ils avaient installé tout un système de cordes qu’ils pendaient par la fenêtre afin de faire descendre la nourriture de l’autre côté de chez eux pour je ne sais quel trafic.
Dans la nuit, des coups de feu ont été tirés en direction d’un homme qui s’approchait
discrètement de la maison mais il n’a pas été touché ni poursuivi par les Résistants.
On en a embarqué un autre pour Objat le même jour et un troisième plus tard, qui a été conduit dans un camp de maquisards au-dessus de Concèze, pas loin de la route de Juillac-Pompadour.
La veille où Pagnon s’est tué, nous étions regroupés près de la route pour manger. Pagnon a vu et arrêté des gars, les a conduits à la gendarmerie. Il a fait ça tout seul. Malheureusement le lendemain alors qu’il était allé manger chez sa mère il se rend compte qu’il a laissé sa bretelle de mitraillette. En la remettant il a cogné son Sten par terre et s’est blessé gravement. Je l’ai conduit à Clairvivre où il y avait un hôpital qui soignait les Résistants avec un professeur réfugié de la faculté de Strasbourg.      Jacques Pagnon est mort quelques temps après.

– Et pour le ravitaillement ?

On a fait quelques rafles pour ravitailler les maquis. L’ouvrier du minotier me signale qu’il y a trente balles de belle farine qui traînent là et qui ne servent pas. Je lui promets de trouver quelqu’un qui saura bien les utiliser. Une équipe s’en est vite occupé une nuit !
Il y a eu d’autres petits coups. Par exemple, un type me donne comme petit boulot de ranger une remise chez lui. Il ouvre la porte et se met à hurler. Sa remise contenait au moins 10 caisses de jambon et il y en avait une d’abîmée, attaquée par les rats ! Et il râlait! Il avait 30 kilos de lard. En repartant je n’ai fermé qu’un verrou. La nuit suivante, plusieurs gars venaient récupérer ce précieux butin. Plus de problème de gaspillage à cause des rats.

– Puis quand la guerre a été finie ?

On a passé plusieurs conseils de révision ; on a été appelé au 126ème régiment de Brive. Il y avait bien 2000 gars qui avaient fait le maquis et qui venaient faire mettre à jour leurs papiers. Ca a duré la journée. On m’a donné enfin le document et on m’a dit d’attendre qu’on me rappelle. J’attends toujours ! Voilà résumé mon temps de service militaire. Vous savez qu’ils tenaient compte des mois de maquis.

Monsieur Crouzillat Fernand est né en 1920. Il est décédé en 2009 à Juillac. Il a été conseiller général du canton de Juillac pendant de nombreuses années, estimé de tous. (voir « archives » de décembre 2012)

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