Colette Pascarel née Boutot

Yves Ponthier, co- président du comité ANACR-Objat, a recueilli les souvenirs de jeunesse, sous l’ Occupation, de madame Pascarel. Ci-dessous la retranscription de cet enregistrement, faite par Alain Dargery, secrétaire du comité:

 » A Juillac, la 1ere  classe était mixte ; nous étions une trentaine d’élèves. Ensuite, les garçons allaient à l’école à la Mairie. Il n’y avait pas de cantine ; les enfants des villages venaient à pied, avec leur gamelle et leur bûche de bois en hiver. Arrivés en classe, l’enseignante vérifiait la propreté des mains, des oreilles et des cheveux, à la recherche de poux.  

Nous avions à l’école des réfugiés Polonais, Juifs, Espagnols, Italiens qui étaient arrivés en 1939. Je ne me souviens pas d’arrestation de Juifs à Juillac. La vie à l’école était différente de ce qu’elle est aujourd’hui : Leçon de morale, instruction civique, respect des enseignants. Il y avait les travaux pratiques. Les filles apprenaient la couture et la cuisine, les garçons, le jardinage et le bricolage.  Je me rappelle d’un canevas que nous avions fait pour la fête des mères nouvellement créée. 

Nous faisions un exercice militaire avec un bâton en guise de fusil ; garde à vous, présentez arme etc. On nous avait demandé de faire une lettre à Pétain ; j’avais fait la vitrine de mes parents. Nous chantions « Maréchal, nous voilà ». Ces directives nationales, étaient relayées par la Mairie. [Monsieur Laplanche, ancien instituteur, a publié un livre dans lequel il recense tous les conseils municipaux de Juillac depuis 1789.]

Un portrait du Maréchal, figurait à la mairie comme aujourd’hui celui du président en exercice. De même, au collège, un portrait du maréchal était suspendu à l’entrée du bureau de la directrice. J’avais 13 ans en 1944. J’ai été élève au collège d’Objat du 1er octobre 1942 jusqu’à juillet 1950. Il y avait un concours d’entrée en 6 éme puis un examen pour l’obtention d’une bourse. La tenue vestimentaire était uniforme : Tailleur avec jupe Bleu marine, chapeau type Charles Trenet ; à un moment, nous avions une grande capeline.

La Directrice était Madame Crouzillat. Je me souviens d’une nuit où elle a été contrainte de faire visiter les dortoirs par 2 hommes qui vérifiaient qu’il n’y avait pas 2 personnes par lit; ils étaient à la recherche de juifs cachés. Une autre fois, un avion a survolé le collège à très basse altitude ; quelques minutes plus tard, on a entendu une explosion. Je suppose qu’il s’agissait de l’avion qui s’est écrasé près de Varetz. En 1945, un prisonnier Allemand a été affecté au collège. Il s’occupait entre autres du chauffage au charbon ; il comprenait assez bien le Français. Le Chauffage était souvent en panne. Nous allions prendre la douche chez Dumont ; l’eau était froide….

Le jour du débarquement, le collège nous a libérés. Durant l’été 1944, en vacances à Pierrefiche, j’ai eu la peur de ma vie, je gardais les vaches avec mon cousin. Une Jeep Allemande s’est arrêtée ; nous étions cachés derrière une haie. J’ai attrapé le chien et l’ai tenu afin qu’il n’aboie pas. Je me suis dit : s’il aboie, ils vont tirer. Les Allemands sont repartis et, de peur, nous avons regroupé les vaches et sommes rentrés.

Les Allemands sont venus une fois à Juillac ; ils sont restés une journée à la gendarmerie. Le Maire Monsieur Boucher a été sollicité. Prévenus, nous étions partis. A  ma connaissance, il y a eu d’autres passages de véhicules Allemands mais pas d’autres stationnements. Une autre fois, nous descendions de la Bachellerie ; nous voyions une traction arriver au loin ; de peur, nous nous sommes enfuies dans un champ de pommes de terre qui bordait la route. La traction s’est arrêtée ; en sont descendus des maquisards qui nous ont rappelés et nous ont dit : « surtout, ne faites jamais ça, pour les allemands, c’est un signe de culpabilité . ils vous auraient tirés comme des lapins. »

A la maison, nous participions aux travaux du quotidien comme tous les enfants à cette époque : les cochons, les poules, les lapins etc. Je n’ai pas souvenir de camps de jeunesse mais il y avait « les compagnons de France » ; ils passaient dans les villages, organisaient des feux-de-camp, nous faisaient chanter.

En 1944, Jacques Pagnon s’est blessé accidentellement avec une mitraillette ; il a été soigné à Clairvivre mais n’a pas survécu. A Clairvivre, j’ai été soignée pour une typhoïde. Mon père y avait l’adjudication pour la livraison de pain. Plus tard, c’est mon oncle qui a créé la boulangerie. Cet hôpital de Clairvivre a joué un rôle très important. J’y ai vu des couloirs encombrés de malades. Un bus venait de Limoges et un autre de Brive pour transporter des malades. J’étais à Clairvivre chez mon oncle lorsque la poudrerie de Bergerac a été bombardée. La déflagration a été entendue jusque-là ; les carreaux de l’hôpital tombaient.

J’ai connu 3 jeunes réquisitionnés pour le STO : Fernand Boutin, Jeannot Pascarel ; j’ai oublié le nom du troisième. Jeannot Pascarel a été tué le jour de la libération par une balle perdue à Mulhouse ; il faisait partie d’une famille de 11 enfants ; leur maison était près du monument aux morts de Juillac. Je n’ai pas eu connaissance de prisonniers libérés au titre de la relève prônée par les autorités pour justifier le STO. J’ai connu un autre jeune qui a refusé le STO : Jeannot Marco, et bien d’autres dont j’ai oublié le nom. Ils ont rejoint le maquis ou se sont cachés dans de la famille éloignée. Nous connaissions les gars qui étaient dans le maquis. Je me rappelle des sacs de pain qui quittaient la boulangerie la nuit. 

Nous écoutions la radio de Londres pendant le couvre-feu. Avant la guerre, nous avons écouté Hitler ; le discours de Munich. Je me rappelle de sa voix.  Nous achetions le journal et à la mairie étaient affichés les édits municipaux mais aussi les directives de Pétain. On connaissait l’existence du Maquis au Pont Laveyras. Nous connaissions les deux frères Delage : Robert a été tué sur place ; Jean qui était commis chez nous est mort en déportation.

Il y a eu des parachutages du côté de La Bachèlerie. C’est peut-être en rapport avec les armes que j’ai découvertes un matin dans l’escalier de la maison. Le bruit courait qu’ avant 1942, un Allemand aurait été tué par le Maquis et jeté dans un puits et une autopsie a été ordonnée en présence des Allemands, le Maire, le Garde Champêtre, et les gendarmes… Le garde champêtre diffusait les nouvelles ; il attirait les habitants avec son roulement de tambour et débutait par : « Avis à la population »

Il y avait des bals clandestins les dimanches après-midi, dans des granges isolées. Il y a eu beaucoup de prisonniers dont j’ai oublié le nom, hormis René Dumas dont la mère a fait confectionner par mon père une tourte dans laquelle était dissimulé un tube d’aspirine contenant un plan ; il est revenu comme ça. J’étais à l’école avec les filles du Juge de Paix. Arrêté, il s’est évadé mais n’est pas revenu à Juillac ; il s’est réfugié à Salat.

On a connu aussi un monsieur qui faisait du marché noir ; il achetait des produits dans les fermes et les revendait on ne sait où. Il demandait de l’argent aux femmes dont le mari était prisonnier, se faisant fort de les faire libérer ; finalement, il a été arrêté. Les tickets de rationnement étaient de trois sortes : petits, ados, adultes. Maman délivrait le pain au regard des tickets qui lui étaient présentés. Il était difficile de tricher car la farine était contingentée. Tous les mois, mes parents allaient à la préfecture régler les comptes. Ils avaient droit à un nouveau contingent de farine en fonction des tickets qu’ils présentaient. Les réfugiés étaient traités de la même façon que les Juillacois. Je crois que c’était la mairie qui délivrait les tickets aux habitants.

 A l’époque de la libération de Brive, un camion d’Américains est passé à Juillac. Ils nous ont distribué des chewing-gums, un paquet de Camel et une orange. Madame Lapouge notre voisine, épicière, a été internée dans un camp à Brive. Nous n’avons jamais connu les raisons de son arrestation. Elle ne faisait pas de marché noir. Elle a sûrement été dénoncée par quelqu’un de malveillant. Un épicier dont la boutique était près de la pharmacie, refusait de donner des victuailles aux maquis ; ces derniers sont venus et ont dévalisé la boutique. Le slogan appliqué était : « Taisez-vous, méfiez-vous, les murs ont des oreilles ».

A cette époque, un train surnommé « le Tacot » passait à Juillac. La maison située à droite dans le virage à la sortie de Juillac en direction de Rosiers est dans un style très différent des autres maisons ; c’était la gare. La Saint Mesmin, le 29 mai se tenait en bas avec les manèges et les forains ; en haut le comice agricole. Le premier dimanche d’Août, avait lieu la Fête. »

 

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